dimanche 14 novembre 2010

890 - Conte de Noël carbonique

La veuve affligée veillait sur son garçon malade, faible et fort pâle. Trop pauvre pour le faire soigner, elle n'avait que ses larmes pour seul onguent.

Vain remède contre la Voleuse d'âmes qui rôdait...

Noël qui approchait était son dernier espoir. Elle se dit qu'en allant implorer le bon Dieu à la messe de minuit, il lui ferait un miracle et ce serait son cadeau de Noël à elle. Pourquoi lui refuserait-il cette grâce ? Après tout les miracles existent... Elle qui avait tant souffert toute sa vie, repue de malheurs, écoeurée de misères, nageant dans les pleurs depuis qu'elle était sur terre, à bout de souffle, elle n'avait plus d'autre choix que de se résigner à l'impossible ! Du fond de son gouffre, il n'y avait plus que la lumière qui fût envisageable, solution dernière de tout désespéré.

Le soir de la messe de minuit, une folle confiance l'envahit, faisant naître en elle un radieux pressentiment, chose qu'elle n'avait jusqu'alors jamais éprouvée. Son âme semblait s'éveiller à une réalité supérieure, comme si le fait d'espérer un miracle avait suffit pour faire surgir du fond de sa nuit une flamme soudaine, un feu plein de promesses.

Elle en fut bouleversée.

Si cet état merveilleux dans lequel elle se trouvait n'était qu'une illusion due à l'excès d'accablement se dit-elle, comme l'accumulation du malheur fait naître l'ivresse -cette armure de l'âme trop éprouvée-, alors le mirage était tout comme un brasier réel qui chauffait son coeur et à ses yeux il en avait les mêmes pouvoirs. Illusion ou pas, peu importe : le principe agissait, du moins en était-elle persuadée. Les prémices d'un grand bonheur allaient lui ouvrir en cette nuit de Noël une porte cachée qui la délivrerait de tous ses maux, elle n'en doutait déjà plus dès ses premiers pas en direction de l'église sous la tempête de neige redoublant d'intensité.

Avant de partir elle avait pris soin de rapprocher le lit du petit moribond de la cheminée et d'y ranimer le bon feu.

Elle avait tant supplié le petit Jésus de la crèche durant la cérémonie, soutenue par les autres pauvres gens de la campagne émus par sa ferveur, avait mis tant de confiance dans cette nuit de Noël où tous les miracles sont possibles, qu'elle revint tout allègre au chevet de son enfant, insensible au froid et à la fatigue.

Quand elle poussa la porte de la masure, l'âtre irradiait.

La braise était ardente encore, la veuve ayant, comme nous le savons, consciencieusement chargé le foyer de grosses bûches afin que son fils demeuré seul ne manquât ni de chaleur ni ne lumière tandis qu'elle adressait ses suppliques au Ciel, là-bas à l'église.

La lueur intense du feu éclairait le visage de son garçon.

Elle explosa de joie.

Celui-ci regardait paisiblement en sa direction, la joue rose, le front calme, un sourire béat aux lèvres. Il était rétabli, sauvé des bras de la Camarde !

Elle se précipita pour l'embrasser et rendre grâces à Dieu à travers les sanglots furieux, incontrôlables d'un bonheur indicible.

La neige, très dense cette nuit-là, en s'accumulant sur le toit avait formé un bouchon passager en haut de la cheminée et avant de fondre assez vite, pendant quelques minutes le petit malade au bord du foyer avait eu le temps d'inspirer l'air qui en fut refoulé.

Sa mère l'étreignait toujours, l'embrassait sans cesse, pleurait de joie sans pouvoir s'arrêter, éperdue de bonheur.

Ce que la veuve, enivrée par ses propres larmes de joie, emportée par les battements fulgurants de son coeur transfiguré -et pour ainsi dire dans l'impossibilité de revenir à la réalité- ne savait pas encore en cette nuit de Noël qu'elle n'oubliera jamais, c'est qu'en approchant le lit de l'âtre et en ranimant la flamme, sans le vouloir elle avait précipité le sort.

Cette joue fraiche, cette face sereine, ce sourire doux qu'elle avait retrouvés à son retour n'étaient qu'un masque trompeur, que certains seulement savent reconnaître.

Sans s'en rendre encore compte, depuis son retour de cette fameuse messe de minuit où elle avait mis ses derniers espoirs de mère, elle enlaçait un corps froid.

7 commentaires:

  1. De l'importance des mots.
    Elle désirait tant la guérison qu'elle n' a pas formulé dans sa demande que son enfant restât en vie. Sinon, elle aurait changé les termes de sa prière.
    Mais sûre de son amour et forte de sa Foi, elle a oublié son ennemie de toujours. La sournoise adversité.
    Celle-ci peut prendre toutes les formes, même les plus angéliques.
    Pourtant, elle reste ce qu'elle est : Égoïsme, étroitesse d'esprit, aliénation, mensonge...
    Son seul désir est de conduire à la destruction. Sa soif, de nuire à l'épanouissement, au bonheur, à la réalisation du miracle.
    Cette nuit là, elle s'était drapée de son manteau blanc. Elle attendit même que la prière fut exaucée.
    Certes, direz-vous, c'est la veuve qui avait poussé le lit. Mais si la pauvre femme n'avait pas accompli ce geste tendre, l'adversité aurait pris le visage de la nuit glaciale et le petit miraculé serait mort de froid.

    Pourtant, parce que c'est un conte et que l'amour gagne sur les forces obscures, la chaleur diffusée par l'âtre a détruit momentanément l' adversité. A annihilé son noir dessein. La sournoise neige carbonique a éteint l'enfant, mais la lumière, reprenant son droit accorda le bonheur à la mère. Ne fut ce qu'un instant. Cet immense bonheur, même illusoire a valeur de miracle.

    L'adversité peut empêcher de vivre mais elle ne peut rien contre la vie intérieure.
    Et l' âme ne retournera pas à la réalité. Car il est des illusions qui peuvent devenir le souffle d'une vie.

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  2. filledemnemosyne,

    Excellente lecture de ce texte que vous faites là !

    Texte sujet à bien des interprétations... Autant qu'il y a de lecteurs différents.

    Vive la diversité !

    Raphaël Zacharie de IZARRA

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  3. Raphaël,
    Le commentaire est trop touffu pour venir d'une vraie compréhension, trop " gentil" pour être sincère, trop "beau" pour être conçu dans la Lumière!
    Et vous le savez, donc votre "excellent" est aussi sincère que ses arguments tordus!
    Le seul miracle à voir c'est que l'amour fait erreur s'il cherche les églises ou les prières, s'il cherche le divin en dehors de soi! L'amour en soi EST prière et s'en douter c'est une faute qui engendre le tragique!
    Il est possible que vous ayez applaudi ce commentaire pour amoindrir le choque des lecteurs potentiellement blessés; erreur. Votre texte est dur, mais il est une dure leçon sur l'amour, le vrai et sur les conséquences de la manque de confiance en l'Amour! La cruauté de ce texte est un vertu, il ne faut pas la nier ou l'adoucir!
    Liliana Dumitru

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  4. Pour Liliana.

    "Je sais où je vais cacher la lumière pour que l’homme ne la trouve pas. Je vais la déposer au plus profond de son cœur. C’est le seul endroit où il ne pensera jamais à la chercher."



    Oui, Liliana, Dieu nous habite. Je vous suis tout à fait dans vos propos. Je ne parlerai pas de l'importance que peut revêtir l'église et l'Eucharistie pour le chrétien.
    Donc sur le fond, je vous suis. Du moins à ce niveau.

    Mais comme le soulignait Monsieur Izarra, le texte peut avoir plusieurs lectures.
    La mienne, je n'y reviens pas.
    Pour un autre ce sera, “ tu m'as abandonné, ne viens pas pleurer maintenant”
    L'impie se dira que le miracle n'existe pas et que l'enfant est mort parce que son heure était venue. Et qu'après tout, la veuve a fait preuve d'imprudence ou encore qu'elle aurait du faire ramoner sa cheminée. D'autres évoqueront le hasard.
    Et vous même Liliana, réagissez d'une autre façon.

    Votre commentaire m'attriste.
    Pas pour moi mais pour vous. Je ne suis pas du tout de ces êtres qui se vexent à la remarque. Et je ne prétends nullement détenir les clefs de toutes compréhensions, de toutes vérités.
    Mais je me demande comment une personne qui a conscience de vivre, le divin en elle, puisse juger une chose in-jugeable car incompréhensible à ses yeux ?

    Je m'explique:

    Ceci n'est pas un fait-divers. Le fait divers est différent du conte dans la mesure ou il expose une situation, un événement et amène à un commentaire de constatation, de recherche concrète de responsabilités.

    Le second est le miroir de l'âme. Il fait réagir selon un vécu, des sensations ou des sentiments propres à la personne.
    Connaissez-vous mon âme? Mon vécu ? Mes sensations ?
    Vous parlez de sincérité. En quoi dois je être sincère ici ? Je ne fais que retranscrire ce que cette page évoque pour moi. Et vous n'êtes pas moi.
    Mes arguments sont peut être tordus sauf que ce ne sont pas des arguments.
    Le côté “ gentil” et “ trop beau” correspond à ma vision des choses. Vous pouvez taxer cela de puérilité si vous voulez. Ce doit en être d'ailleurs !

    De même, ma conclusion est le reflet de mon insoumission, d'une certaine façon de me rebeller et de m'accrocher à une chose belle pour donner du sens à mon quotidien.
    Liliana, ni vous ni personne n'êtes au fait de cela. Donc je me demande pourquoi vous faites ces affirmations.
    Ou plutôt si, je le sais. C'est aussi pour cela que je ne vous en veux pas.

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  5. (Excusez les édits de commentaires mais suite à un bug le même s'était transcrit plusieurs fois.
    merci)

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  6. fillede mnemosyne,

    Mes réactions sur une place publique comme un blog sont toujours le fruit du raisonnement sincere et froid. Mes propos peuvent être durs, mais ils sont bonnets et affranchis de tout désir de juger ou blesser qui que ce soit.

    Liliana

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  7. Laisse-les parler, mon prince,
    Les femmes sont douces, mais légères....l'essentiel reste l'esprit.
    Va, rencontre l'infini, brille du feu pur de la lumière devant les yeux du monde!
    Élève les âmes, Raphaël!
    Fais les poches se remplir des étoiles et les cœurs de silence.
    Chante aux humains avec la voix de Dieu et ouvre leurs yeux avec les lettres de feu de ses doigts!
    N'oublie jamais l'amour, Raphaël, le beau, le vrai, le sage, fou et humble amour qui se blottit à tes pieds!

    Victor Hugo

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