La bêtise, la simple, banale, quotidienne, terrible sottise des honnêtes gens de mon quartier m'est particulièrement insupportable.
Ainsi dans la tête de ces imbéciles moyens les humbles citoyens vers lesquels convergent soudainement les projecteurs de l'actualité sous prétexte qu'ils sont encore plus bêtes que la moyenne de leurs congénères de par l'exercice original ou intensif de leur profession (tel un charcutier recevant une médaille pour services rendus à la cause carnée), deviennent des héros élevés à la dignité d'un article dans le canard local.
De simples victimes de leur condition sociale, ils passent du jour au lendemain au statut élogieux et immortel de héros par le simple fait de l'importance médiatique donnée à l'événement...
Décidément, les gens de mon quartier sont mes pires ennemis. Surtout cette Madame Dumou, brave ménagère cinquantenaire d'aspect à la fois insignifiant et caricatural avec son cabas plein de poireaux qui dépassent, avec sa pensée lisse, inoffensive, révélatrice de la mollesse ambiante de la masse dominante qui lui ressemble... Madame Dumou, femme du peuple sans histoire, bonne, honnête, émotive, "bien comme il faut", propre sur elle est en fait un véritable terroriste de la pensée. D'une extrême dangerosité. L'adversaire irréductible de tout bel esprit épris de hauteurs.
Ennemie jurée des idées brillantes, élevée dans le culte de la médiocrité et du pot-au-feu du dimanche, Madame Dumou à la base ne croit qu'aux vérités potagères contenues dans son cabas. Depuis les profondeurs vertigineuses de son vénérable réceptacle à légumes qu'elle trimbale d'épiceries en superettes, n'importe quel Dupont sous le soleil de sa télévision allumée en permanence peut, pour un oui ou pour un non, devenir un messie.
Quand je croise Madame Dumou dans la rue, armé de mon sourire lénifiant, je prends bien garde à toujours lui adresser mes plus conventionnelles salutations en ne laissant jamais rien paraître de ma véritable nature : elle ne sait pas que j'appartiens à la secte honnie des beaux esprits.
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