Je peux bien le confesser maintenant que j'ai soixante-dix ans : si je suis toujours puceau, célibataire et fier de l'être c'est à cause d'un billet de dix francs, mille francs anciens comme on disait à l'époque.
Cela va sans doute vous paraître incroyable mais en 1963 j'ai éconduit une jeune fille, mon premier amour, parce qu'elle voulait que je lui offre un verre d'alcool dans un bar chic -donc cher- avant de faire plus ample connaissance dans mon lit.
J'avais un billet de mille francs anciens qui me venait de ne sais plus où, un billet en trop qui ne me servait à rien vu que, employé chez un fleuriste, je gagnais déjà un bon salaire. Très tôt dans ma vie j'étais déjà bien atteint par le "syndrome de la rétention d'argent." Cette vertu de l'économie allait déterminer tout le reste de mon existence. Dans le bon sens puisqu'à soixante-dix ans, je suis un homme heureux.
J'avais vingt ans tout comme elle, des sentiments profonds et un désir fou pour cette fille, mais également une terrible, incontrôlable, maladive passion pour l'économie. Pour rien au monde je n'aurais voulu sacrifier ce billet superflu ! J'ai préféré dire sèchement adieu à mon amoureuse sans aucune explication plutôt que de passer le seuil de ce bar chic qui allait certes me faire gagner l'hymen de ma fiancée mais surtout me coûter mon billet.
Et le pire dans cette affaire, c'est je ne l'ai jamais regretté.
J'ai gardé ce billet précieusement contre mon coeur pendant plus de deux décennies comme le symbole de mon incorruptible avarice, qui à mes yeux est aussi le symbole de ma force de caractère...
En réalité c'est par folie pour l'argent non dépensé que j'ai conservé ce billet de banque pendant plus de vingt ans. J'ai longtemps confondu mon intérêt immodéré pour l'économie avec l'histoire d'amour avortée avec cette jeune fille. Naïvement je croyais chérir inconsciemment mon premier amour perdu à travers ce billet de dix francs collé en permanence contre ma poitrine. En vérité, infiniment plus mesquin que j'en ai l'air, c'est bel et bien le billet en lui-même que je vénérais.
Je l'ai dépensé vingt-deux ans après. Pour faire réparer une des semelles de mes chaussures.
Je porte toujours la même paire de chaussures. J'en ai grand soin, au prix où sont les rares cordonniers encore en exercice de nos jours ! Aujourd'hui on ne fait plus guère réparer les chaussures : on les porte, on les use, on les change...
Je suis demeuré vierge, seul, tranquille et content. Econome, mon compte en banque est fourni. Une fortune pour tout dire.
Je suis heureux.
Je vais mourir après avoir vécu avec une seule paire de chaussures depuis l'âge de vingt ans, un régime alimentaire réduit au plus strict minimum et sans jamais avoir pris de vacances de toute ma vie. Mais surtout, sans femme.
Donc sans héritier.
Je lègue ma fortune à cette vieille femme ridée, triste et pauvre ayant le même âge que moi, dont le coeur dans sa jeunesse fut brisé par un sacré foutu radin de vingt ans et qui, définitivement blessée par ce chagrin d'amour, est demeurée seule toute son existence.
évidement le côté idolâtre, mais on peut dire que vous fûtes plus pédé qu'idolâtre. Les femmes comme les pédés vénèrent la puissance et n'aiment rien tant que les imitations. L'argent est leur fétiche préféré. Pour les pédés c'est plutôt le pied, la chaussure, c'est leur talon d'Achille.
RépondreSupprimerDes idées qui auraient fait pâlir de jalousie Balzac, Molière...
RépondreSupprimerVictor Hugo
Monsieur Victor,
RépondreSupprimerJe suis hugochanté de vous rencontrer.
Raphaël Zacharie de IZARRA